Oxfam Novib et la diffusion de la littérature du Sud en néerlandais : Le tour du « tiers-monde » en 250 romans

Katrien Lievois

UAntwerpen (Université d’Anvers-Belgique)

katrien.lievois@uantwerpen.be

https://orcid.org/0000-0003-2534-7644

Résumé

Le domaine du développement en général et les organisations internationales de développement en particulier ne peuvent se concevoir sans la traduction. C’est ce qui explique l’intérêt récent des chercheurs pour ces liens entre développement et traduction. Toutefois, le soutien d’une organisation internationale de développement à la traduction littéraire n’a pas encore été beaucoup étudié. Le corpus des romans francophones africains offre un poste d’observation intéressant pour analyser cette question. Cette contribution montre comment Oxfam Novib, en soutenant matériellement la publication de quelque 250 romans entre 1975 et 2020, a contribué activement à la diffusion dans le domaine linguistique et culturel néerlandophone de ce qu’on appelait à l’époque encore la « littérature du Sud ». L’étude de leur activité éditoriale, qui s’étale sur presque 50 ans et s’est faite en collaboration successive avec sept maisons d’édition différentes, permet d’éclairer l’importance de cette ONG d’aide au développement pour la circulation de la littérature du monde.

Mots clés : traduction littéraire ; ONG d’aide au développement ; Oxfam Novib ; romans francophones africains ; traduction néerlandaise.

1. Introduction

Partant de la constatation que ni le domaine du développement en général (Olivier de Sardan, 1995, pp. 206–208), ni les organisations internationales de développement en particulier (Footitt, 2017 ; Luchner, 2018 ; Sanz-Martins, 2018 ; Todorova, 2018) ne pourraient se concevoir sans la traduction, plusieurs spécialistes se sont récemment intéressés aux liens qui peuvent unir développement et traduction (Marais, 2013, 2018 ; Marais & Delgado Luchner, 2018). La façon dont une organisation internationale de développement peut soutenir spécifiquement la traduction littéraire n’a cependant pas encore suscité la même attention. C’est précisément ce que vise le cas soumis à l’analyse dans cette contribution.

Concrètement, il s’agira de montrer comment Oxfam Novib, en subventionnant la publication de quelque 250 romans entre 1975 et 2020, a contribué activement à la diffusion dans le domaine linguistique et culturel néerlandophone de ce qu’on appelait à l’époque encore la « littérature du Sud ». L’étude de leur activité éditoriale, qui s’étale sur presque 50 ans et s’est faite en collaboration successive avec sept maisons d’édition différentes, permettra d’éclairer l’importance de cette ONG d’aide au développement néerlandaise pour la circulation de la littérature du monde. Le corpus des romans francophones africains offre un poste d’observation intéressant pour analyser cette problématique.

Dans les deux sections suivantes, nous présenterons Oxfam Novib en nous intéressant d’une part à son histoire et son fonctionnement et d’autre part à son profil éditorial et son catalogue. Ensuite, nous brosserons le tableau complet des traductions néerlandaises des romans francophones africains, avant d’effectuer un cadrage plus serré qui permet d’y situer plus finement le rôle de Oxfam Novib.

2. Oxfam Novib : présentation, histoire et fonctionnement

Oxfam Novib est le groupe de pression pour l’aide au développement le plus ancien aux Pays-Bas. Il a vu le jour le 23 mars 1956 sous le nom de Novib, Nederlandse Organisatie voor Internationale Bijstand (Organisation Néerlandaise d’Aide Internationale). Dans le but d’accroître son efficacité dans le domaine du lobbying et de la coopération dans le monde entier, l’organisation a rejoint en 1994 Oxfam International. En 2006, l’année où Novib fête son cinquantenaire, l’appartenance à cette confédération internationale l’a conduite à changer son nom en Oxfam Novib.

Novib a été créée à la suite de l’aide massive qu’avaient reçue les Pays-Bas lors du raz-de-marée en mer du Nord en 1953 ainsi que de l’exemple de la Norvège qui avait organisé en 1952–1953 une collecte nationale pour venir en aide à l’Inde (Kuitenbrouwer, 1994, p. 66). La spécificité de Novib résidait en ce qu’elle entendait combiner trois missions différentes : apporter de l’aide directe dans les pays où elle est nécessaire, faire le lobbying auprès de divers gouvernements et organisations, et enfin, assurer des campagnes de sensibilisation d’un public néerlandais le plus large possible. Entre 1960 et 1965, Novib organise, en collaboration avec les branches néerlandaises de l’UNICEF et de l’UNESCO et à l’initiative de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, la première collecte de la Anti-Honger Actie (Campagne contre la Faim) aux Pays-Bas et commence à être connue vers cette époque dans le pays entier. Suivront plusieurs initiatives, parmi lesquelles Gast aan Tafel (Invité à table) a connu le plus grand succès. Il s’agissait de faire un don d’un montant équivalent au coût d’un convive supplémentaire. En 1977, cette action réunit environ 100 000 participants et sept millions de florins néerlandais (Kuitenbrouwer, 1994, p. 67). Afin d’informer plus largement le public, Novib publiait depuis avril 1957 également Onze wereld (Notre Monde) qui deviendra One world en 2011. Dans les années 70, cette revue est diffusée à plus de 100 000 exemplaires (Kuitenbrouwer, 1994, p. 66), un tirage impressionnant, même si l’on prend en compte qu’elle était envoyée automatiquement aux participants à Gast aan Tafel. La radicalisation politique que connaissent les Pays-Bas pendant les années 70 aura également une influence sur la façon dont on y conçoit l’aide au développement : au sein de Novib s’opposeront deux tendances, l’une modérée et l’autre plus radicale. Ce sont les plus militants de la cause qui l’emportent et en 1975, Sjef Theunis, un jeune philosophe social et spécialiste en comparatisme religieux, deviendra secrétaire général (Kuitenbrouwer, 1994, p. 67).

C’est dans ce climat général qu’il convient de situer l’initiative qui nous intéresse : le lancement de la collection littéraire De Derde Spreker (La Troisième Voix). En 1974, la maison d’édition Het Wereldvenster (Fenêtre sur le monde) avait accueilli un nouveau responsable en la personne d’Ivo Gay, qui y avait trouvé quelques livres d’auteurs dont les noms lui étaient absolument inconnus (Sabarte Belacorte, 1991, p. 3). Ne sachant pas très bien quoi en faire, mais ayant vu qu’il s’agissait de romans traitant de problématiques du tiers-monde, Ivo Gay prend tout d’abord contact avec Amnesty International, sans que cela n’aboutisse à un accord. Il se tourne alors vers Novib et il suffit d’une conversation de moins d’une heure avec Sjef Theunis pour que puisse démarrer le projet (Sabarte Belacorte, 1991, p. 3). La première étape consiste dans la création d’un comité de rédaction, composé d’un président et de douze membres, chacun spécialiste d’une région du monde spécifique : l’Asie, l’Afrique, l’Amérique latine, etc. Le conseil compte de nombreux universitaires, mais également des figures actives dans le monde culturel et littéraire.

Dès le départ donc, il s’agit d’une collaboration entre Novib, qui prend le rôle d’ « éditeur idéologique »[i] (Sabarte Belacorte, 1991, p. 4), et une maison d’édition « commerciale » (Sabarte Belacorte, 1991, p. 4), responsable des contrats, des traductions, de la production, etc. (Sabarte Belacorte, 1991, p. 5). Novib, pour sa part, effectue la sélection des textes, organise parfois des événements après la publication – présentations des romans, invitations des auteurs … (J. Uyterlinde, communication personnelle, le 19 février 2019) – et assure un lectorat important. En effet, au début, Novib envoyait les romans à tous ses membres : l’écoulement était donc garanti. Plus tard, la distribution se fera par abonnement annuel et le nombre d’exemplaires distribués allait de 3000 à 12 000 (Sabarte Belacorte, 1991, p. 6). De très nombreux lecteurs engagés souhaitaient soutenir le projet, même si des enquêtes ont montré qu’ils n’allaient pas toujours jusqu’à lire ces textes (Kuitert, 2015, p. 263). Actuellement, Oxfam-Novib met les publications en vente sur son site[ii] et les envoie toujours à ses 4 036 abonnés[iii] (N. van Doodewaard, communication personnelle, le 9 mai 2022). Pour les maisons d’édition associées, le soutien de Novib constitue évidemment une solide garantie financière. Dans le courant des décennies, il y en a d’ailleurs plusieurs qui se sont succédé : Wereldvenster (1975-1986), Ambo (1987-1995), Van Gennep (1996-2000), De Geus (2000-2018), Podium (2004), Meulenhof (2004) et Orlando ( 2018-…) et qui ont assuré en un peu moins de 40 ans quelque 250 publications.

3. Oxfam Novib : profil éditorial et catalogue

Au moment du lancement de la série De Derde Spreker, l’objectif explicite était de déclencher auprès des lecteurs néerlandophones une prise de conscience concernant les problèmes politiques, économiques et sociaux des pays en voie de développement. Dans sa préface au premier roman édité, Xala de Sembene Ousmane (1973), et qui sera reprise dans plusieurs publications ultérieures, Sjef Theunis explique la portée du nom de la collection : « Nous avons beaucoup parlé d’eux, mais nous ne leur avons jamais laissé la parole ». Il souligne que la lecture de « romans et d’histoires du tiers-monde constitue une rencontre avec les autres, avec leurs problèmes et leur société. […] De nombreuses problématiques sont présentées de façon tout à fait lisible. […] Non pas des exposés abstraits, mais simplement de bonnes histoires. » (ma traduction). Les œuvres publiées sont clairement situées dans un cadre tiers-mondiste et leur valeur littéraire est quelque peu reléguée à l’arrière-plan (Hoogteijling, 1999, p. 4 ; Sabarte Belacorte, 1991). La collection est bien reconnaissable grâce à son logo constitué d’un cercle divisé en trois (Image 1) qui représente la division du monde en trois grands blocs.

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Logo de la série De Derde Spreker

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Le paratexte des textes publiés par la collection De Derde Spreker est avant tout didactique et souligne la valeur documentaire. Il importe que le lecteur place correctement le roman dans le contexte sociopolitique d’origine. Ainsi le titre original de chaque roman est complété par un sous-titre qui en explicite l’origine (ex. « roman du Cameroun », « roman du Sénégal », etc.). Les présentations des auteurs et de l’œuvre ainsi que certaines préfaces expliquent l’importance des textes et en orientent la lecture en annonçant les thématiques les plus importantes. Plusieurs romans intègrent également des cartes géographiques qui permettent au lecteur de mieux localiser les événements racontés. Plusieurs éléments du paratexte indiquent que les romans proposés à la lecture sont intéressants si l’on veut mieux connaître la culture dans laquelle ils ont vu le jour. Comme le précise la préface générale à la collection, « Chaque livre de cette série se veut un voyage de découverte d’une autre culture » (ma traduction). L’ambition s’appuie sur une démarche double : il ne s’agit pas seulement de proposer d’en apprendre plus sur l’Autre, mais aussi – et sans doute avant tout – de pousser à adopter une attitude de respect et d’ouverture à tout ce qui nous est peut-être étranger. Le but est non seulement de partager des connaissances, mais de faire ressentir au lecteur ce qui anime les auteurs de ces textes. La quatrième de couverture de la plupart des publications de la collection spéciale précise qu’il est question d’« histoires qui vous font découvrir la vie quotidienne de ceux qui appartiennent à une autre culture. Écrites par leurs propres auteurs qui ont eux-mêmes vécu les tensions et les émotions de joie et de colère » (ma traduction).

Au fil des années cependant, cette conception de la littérature comme moyen de sensibiliser le public occidental engagé aux problématiques des pays en voie de développement a progressivement évolué et c’est avant tout l’intérêt spécifiquement littéraire et esthétique des textes publiés qui a été mis en évidence. Si au début l’attitude qui pouvait prévaloir consistait à penser que « ce roman n’est pas tellement bon, mais il nous apprend tellement au sujet des problèmes de tel ou tel pays ; nous voulons donc l’éditer » (Sabarte Belacorte, 1991, p. 4, ma traduction), plus tard, la qualité littéraire primera sur la valeur documentaire. Ainsi, en 1991, disparaissent aussi bien la référence au pays d’origine de l’auteur sur la couverture que les informations qui accompagnent les textes. De plus, la dénomination De Derde Spreker sera officiellement abandonnée : la devise de la collection spécialisée est désormais interprétée comme une forme de ghettoïsation littéraire. Novib s’inscrit ainsi dans une évolution globale vers la reconnaissance mondiale progressive des auteurs venant de continents qui avaient trop longtemps été écartés de la canonisation littéraire. Rappelons dans ce cadre par exemple l’obtention du Prix Nobel de Littérature par Wole Soyinka en 1983, Najib Mahfouz en 1988 et Derek Walcott en 1992.

Malgré les efforts entrepris par Novib pour changer la perception de leur entreprise, le public plus large et la critique littéraire plus spécialisée continuent à lire leurs publications avant tout pour s’informer et perpétuent ainsi le cloisonnage éditorial aux Pays-Bas. Depuis les années 70 déjà, trois maisons d’édition néerlandaises s’intéressaient spécifiquement à la littérature postcoloniale. Constatant très vite qu’il valait mieux s’entendre que s’affronter sur un terrain en fin de compte relativement limité, elles ont convenu de choisir chacune un champ spécifique. Ainsi, Corrie Zelen entreprend de publier la littérature africaine, Flamboyant la littérature des Caraïbes et In de Knipscheer les littératures du Suriname, afro-américaine et amérindienne (Kuitert, 1999). Corrie Zelen avait créé la collection spécialisée Afrikaanse Bibliotheek (Bibliothèque africaine) (Lievois, 2016) et publié des auteurs africains aussi bien francophones qu’anglophones, comme Ngugi wa Thiong'o, Chinua Achebe, Camara Laye ou Mariama Bâ. Quand Corrie Zelen cesse ses activités en 1984, In de Knipscheer reprend la Afrikaanse Bibliotheek. Contrairement à De Derde spreker, elle se profilait avant tout comme une collection véritablement littéraire. L’importance artistique des romans est systématiquement soulignée et expliquée dans les postfaces des romans publiés. Même si l’examen plus détaillé de leurs catalogues respectifs ne permet pas toujours de confirmer cette dichotomie[iv], le positionnement spécifique – idéologique versus esthétique – des deux collections ne sera pas mis en question.

Même donc si, depuis le début des années 90, Novib ne cherche plus à être considérée comme un éditeur de textes dont le mérite littéraire est au moins aussi important que la valeur documentaire, ils ne seront pourtant jamais complètement perçus comme tel. Leur catalogue, qui contient environ 205 auteurs venant de quelque 85 pays, compte toutefois non seulement des auteurs qui étaient au moment de la publication des traductions néerlandaises déjà considérés comme parmi les plus importants de leur domaine culturel (par exemple Jorge Amado, José Donoso, Mohamed Choukri, Mongo Beti, Patrick Chamoiseau), mais également des écrivains dont l’importance littéraire a été reconnue par la suite (ainsi Tahar Ben Jelloun et Nuruddin Farah).

Les activités littéraires connexes et autres collections de Oxfam Novib relèvent également plus du politique que du purement littéraire. Parallèlement au travail éditorial, Novib a mis en place un fonds de soutien pour les écrivains, journalistes, cinéastes et autres créateurs vivant en captivité ou en exil et incapables de subvenir à leurs besoins. L’organisation finance en outre des projets visant à promouvoir plus largement la liberté d’expression ou à apporter des livres dans des villages reculés des pays en voie de développement, comme les bibliothèques mobiles. Depuis 2005, Novib, en coopération avec PEN Club néerlandais, présente le Oxfam Novib/PEN Award for Freedom of Expression, actuellement nommé le PEN Award for Freedom of Expression, qui veut récompenser la contribution des écrivains à la liberté d’expression dans le monde. Pour toutes ces activités, l’idéologie tiers-mondiste continue donc à l’emporter. Dans la présentation de leur collection pour enfants, commencée en 2017 et développée avec l’organisation multiculturelle ROSE-stories, Oxfam Novib souligne combien une plus grande inclusivité et diversité en littérature peut contribuer à la tolérance et l’ouverture envers l’autre dans le monde réel. Partant du constat que les livres pour enfants aux Pays-Bas concernent presque toujours des enfants qui y sont nés et élevés, même si plus d’un quart des jeunes Néerlandais sont issus de l’immigration, ils insistent sur l’importance de mieux refléter la société actuelle dans les textes destinés aux enfants et aux jeunes.

Avant déjà, entre 1986 et 1989, Novib avait également une autre collection littéraire dont l’engagement multiculturel se traduisait directement dans la dénomination : la Antiracisme-reeks (Série Antiracisme). Partant du constat que si, pendant les années 70, le tiers-monde était une zone géographiquement clairement définie, tel n’était plus le cas quinze ans plus tard (Sabarte Belacorte, 1991, p. 5), Novib était consciente qu’il fallait aussi donner une voix aux réfugiés et aux immigrés de la deuxième génération dans les pays occidentaux. L’initiative a finalement duré moins de cinq ans et, au total, seulement une dizaine de textes ont vu le jour, des originaux écrits en néerlandais et des traductions, des essais et des romans. Le français tient une place appréciable dans cette collection : les trois premières publications sont signées par des auteurs francophones. Dans Gastvrijheid : over Noordafrikaanse gastarbeiders en het racisme (traduction de Hospitalité française), Tahar Ben Jelloun (1984/1986) réfléchit à comment, dans la première moitié des années 80 en France, les idées racistes s’affichent de plus en plus ouvertement en même temps que les luttes antiracistes se multiplient et se diversifient. De wet van Archi Ahmed (traduction du Thé au harem d’Archi Ahmed) est le premier roman beur à avoir été traduit en néerlandais (Charef, 1985/1986) et De gekke baobab (traduction du Baobab fou) de Ken Bugul (1982/1987) raconte l’expérience traumatisante d’une jeune Sénégalaise qui vient poursuivre ses études supérieures en Belgique.

Oxfam Novib avait pour principe général de soutenir un seul texte par auteur. L’organisation estimait que son rôle consistait à introduire un écrivain auprès du public néerlandophone et que c’était ensuite aux maisons d’édition « commerciales » d’éventuellement prendre le relais en publiant d’autres textes intéressants (J. Uyterlinde, communication personnelle, le 19 février 2019). En examinant de plus près leur catalogue, on constate cependant de nombreuses exceptions à cette règle : deux auteurs ont effectivement été publiés quatre fois (Sembene Ousmane et Pramoedya Ananta Toer), sept auteurs ont été soutenus pour trois livres (Nuruddin Farah, Patrick Chamoiseau, Parker Bilal, Ayesha Harruna Attah, Emmanuel Dongala, Henri Lopes et Gu Hua) et dix-neuf auteurs ont vu deux fois leurs textes publiés par Oxfam Novib. Selon les responsables, la décision de reprendre un même auteur n’a jamais dépendu du succès éventuel rencontré par la première publication. C’est toujours l’intérêt littéraire et thématique du texte en question qui explique sa place dans le catalogue de l’éditeur (I. Harmssen, communication personnelle, le 14 février 2019).

Oxfam Novib visait également une répartition plus ou moins équilibrée des différents continents dont étaient originaires leurs auteurs (I. Harmssen, communication personnelle, le 14 février 2019). Un survol de leur catalogue montre cependant que l’Afrique et l’Asie sont nettement mieux représentées (respectivement 40 % et 30 %) que l’Amérique du Sud (17 %), l’Amérique du Nord (7 % et il s’agit là essentiellement des pays appartenant aux Antilles), l’Europe (2 %) et l’Océanie (0,4 %, c’est-à-dire un seul auteur).

La sélection des livres s’opérait de façons très différentes. Parfois, les maisons d’édition « commerciales » faisaient des propositions, parfois aussi les membres du comité de rédaction de Oxfam Novib prenaient l’initiative. Pour qu’une publication soit envisageable, il fallait que trois membres des douze la soutiennent. Si l’on n’arrivait pas à ce quorum minimal, les autres membres étaient consultés. Sans unanimité raisonnable au sujet de la qualité du livre, la publication ne voyait pas le jour. Les décisions se prenaient sur la base de rapports de lecture circonstanciés et après des discussions parfois très animées (Sabarte Belacorte, 1991, p. 5). Au total, il y a eu en moyenne cinq livres par an qui ont été publiés avec l’aide de Oxfam Novib.

Le bilan global de l’activité éditoriale de Novib s’élève donc à 253 publications en 46 ans de 205 auteurs venant de quelque 85 pays différents. Ce résultat est certes important, mais ces données générales seules ne permettent pas de rendre compte de leur influence sur la façon dont les poétiques et imaginaires de ces littératures que l’on n’appelait pas encore « périphériques » ont pu circuler dans le domaine culturel néerlandophone. Pour apprécier leur portée exacte, il convient de l’évaluer à partir d’un corpus spécifique, ce qui permet de mesurer l’action de l’ONG en la mettant en balance avec le travail éditorial des maisons d’édition néerlandaises. Pour ce faire, le corpus des romans francophones africains offre un poste d’observation tout à fait indiqué – limité, mais cohérent[v] – pour analyser l’importance de l’engagement de Novib dans le cadre de la circulation littéraire internationale. Nous poursuivrons donc en brossant le tableau complet des traductions néerlandaises des romans francophones africains, pour ensuite effectuer un cadrage plus serré qui permet d’y situer le rôle de Novib.

4. La littérature africaine francophone en traduction néerlandaise

Le relevé exhaustif des versions néerlandaises[vi] publiées de romans francophones africains (jusque 2021) s’élève à 64, faites par quelque 45 traducteurs ou traductrices, qui parfois ont travaillé à plusieurs. Ces textes, de 31 auteurs différents[vii], ont été édités par quelque 20 maisons d’édition, entre 1956 et 2021. Il est difficile d’apprécier ce chiffre – est-ce beaucoup ? pas tellement ? pas assez ? – , mais il est intéressant de comparer ces données au nombre de textes relevés par Kathryn Batchelor pour l’anglais (Batchelor, 2009) jusqu’en 2008 : 72. Pour la même période, il y a 53 traductions néerlandaises, un résultat tout sauf négligeable.

Dès lors qu’il s’agit d’évaluer l’importance des différents domaines linguistiques et culturels pour ce qui est de la circulation littéraire, les travaux des sociologues de la traduction en général, mais plus particulièrement ceux de Heilbron et Sapiro (Heilbron & Sapiro, 2007a ; 2007b ; Sapiro, 2008) offrent une base intéressante. À partir de données quantitatives importantes, ils ont décrit le flux mondial des traductions selon un modèle de classification relative des différentes langues sources. Ainsi, ils ont qualifié l’anglais de langue hypercentrale (+ 60 % de toutes les traductions), l’allemand et le français de langues centrales (+/- 10 %) et les autres langues (< 3 % du marché global), de (semi)périphériques (Heilbron & Sapiro, 2007a, pp. 95–96; Sapiro, 2008, p. 29). Dans leur définition des littératures et des langues hypercentrales, Heilbron et Sapiro (2007b) insistent également sur le fait que fréquemment, on ne traduit vers une langue (semi)périphérique que lorsqu’il existe déjà des traductions dans une langue centrale :

Plus une langue est centrale, plus elle a la capacité de fonctionner comme langue intermédiaire ou véhiculaire. La traduction anglaise ou française d’un ouvrage norvégien ou coréen est aussitôt annoncée par son éditeur, qui sait que la traduction dans une langue centrale sera immédiatement suivie d’une vague plus ou moins grande de traductions dans d’autres langues. (pp. 3–4)

Cette affirmation dirige naturellement l’attention vers le rôle des langues centrales comme langues intermédiaires, ce qui n’est pas sans importance dans le cadre de notre analyse. Étant donné que c’est en tant que texte cible que la première traduction ouvre la voie à la deuxième, il conviendra d’inverser la perspective du modèle de Heilbron et Sapiro basé sur les langues sources afin d’examiner la hiérarchie globale des langues cibles.

Il semblerait donc que pour analyser la circulation littéraire globale, ce n’est pas tant à une classification des différentes langues sources qu’il convient de s’intéresser mais plutôt au système des langues cibles (Verstraete-Hansen & Lievois, 2022). À partir des données de l’Index Translationum (consulté le 20 janvier 2020) concernant les quinze langues cibles les plus importantes pour ce qui est des traductions de textes littéraires écrits en français et effectuées entre 1950 et 2019, il est possible, en gardant la terminologie utilisée pour décrire le système mondial des langues sources, de distinguer également différentes catégories de langues. L’allemand et l’espagnol sont, avec 15 % des traductions, des langues cibles centrales. Un deuxième groupe de trois langues qui représentent entre 5 et 10 % (l’anglais, le russe et le néerlandais) sont des langues cibles semi-périphériques dès lors qu’il s’agit de traduire la littérature française et francophone. Enfin, les autres langues qui correspondent à moins de 5 % de la somme totale (le portugais , le japonais, l’italien, le grec moderne, le polonais, le danois , le roumain, le tchèque, le suédois et le catalan) peuvent être considérées comme des langues cibles périphériques (Verstraete-Hansen & Lievois, 2022). Il est important de souligner que si la langue étudiée dans cette contribution, le néerlandais, est périphérique quand on l’envisage comme point de départ, elle vient nettement plus haut dans la classification des langues cibles, où elle se retrouve dans le même groupe que l’anglais et le russe. Elle mérite donc certainement qu’on s’y intéresse.

En plaçant les 64 traductions néerlandaises répertoriées sur une ligne chronologique (Figure 1), on constate une courbe intéressante. L’on note ainsi qu’actuellement le néerlandais a clairement déjà dépassé son moment africain. C’est dans les années 80 (22 traductions) et 90 (12 traductions) que le plus de textes ont paru. Depuis l’année 2000, on reste sous les dix publications par décennie. Ce qui caractérise les vingt années les plus importantes pour la question qui nous intéresse est le fait qu’à cette époque, aussi bien Novib que la Afrikaanse Bibliotheek publiaient régulièrement des traductions des textes africains francophones : sur les 22 pendant les années 80 et les 12 des années 90, il y en avait chaque fois seulement quatre qui ne s’inséraient pas dans l’une de ces deux collections spéciales. La baisse qui s’observe plus tard est donc sans doute également due au fait qu’après 1994, la Afrikaanse Bibliotheek n’a plus publié de textes francophones et que depuis 1999, elle est devenue pratiquement inactive.

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Nombre de traductions néerlandaises de romans francophones africains par décennie

Une deuxième tendance se dégage de ces données bibliométriques rassemblées : sur les 64 textes, il n’y en a que deux à avoir été publiés par une maison d’édition belge. À l’exception de deux cas, Sony Labou Tansi et Valentin-Yves Mudimbe, tous deux nés dans ce qui était dans les années 40 encore le Congo belge, toutes les traductions ont été publiées aux Pays-Bas. Les Sept solitudes de Lorsa Lopez (Labou Tansi, 1985/1988) et L’écart (Mudimbe, 1979/1989) ont paru chez Manteau et ont également le même traducteur : Jef Geeraerts. Ce romancier flamand, parmi les plus importants de sa génération, avait vécu au Congo belge où, avant l’indépendance de la colonie belge, il avait eu une carrière d’administrateur colonial. Plusieurs de ses premières œuvres se déroulent d’ailleurs en Afrique. Contrairement à ce qu’une hypothèse un peu rapide pour expliquer le nombre non négligeable de traductions néerlandaises de textes africains pourrait proposer, ce n’est pas la Belgique qui, par le fait de son histoire coloniale africaine, s’y est intéressée. Ce sont bel et bien les Pays-Bas qui ont proposé les auteurs francophones africains à un public néerlandophone et non en raison d’un quelconque intérêt d’ordre colonial : les colonies néerlandaises les plus importantes se situaient en Asie et en Amérique de Sud et non en Afrique. Même si nous savons effectivement que la toute grande majorité des éditeurs sont situés aux Pays-Bas et que les rapports de force intralinguistiques au sein de l’aire linguistique néerlandaise sont bien documentés (McMartin, 2020), les données dégagées de notre corpus de traductions de romans francophones africains, 62 textes publiés aux Pays-Bas pour deux romans édités en Belgique, continuent à surprendre.

Le poids de tel ou tel domaine linguistique et culturel pour la circulation internationale d’un auteur, d’un texte ou même de tout un champ littéraire ne se mesure pas à la seule aune du nombre de traductions publiées. Si l’on veut dresser la carte de leurs pérégrinations, il convient également de rechercher où ils ont été traduits initialement. Ce ne sont en effet pas nécessairement les langues qui sont numériquement les plus importantes qui ont ouvert la voie des traductions, ou vice versa. Il convient donc d’articuler nos données chiffrées générales à une observation plus détaillée de la chronologie des traductions dans les différentes langues. Dans ce but, nous avons donc, pour les 51 textes sources traduits en néerlandais jusque 2010[viii], établi la chronologie de leur histoire traductionnelle à partir de la première traduction dans 8 des 15 langues cibles les plus importantes pour ce qui est de la littérature écrite en français (cf. supra) : l’allemand, l’espagnol, l’anglais, le portugais, le japonais, l’italien, le danois et le suédois. Grâce aux données obtenues dans les différentes bibliothèques, il a été possible de comparer l’écart entre les dates de publication des originaux et celle des traductions, et de voir quelles étaient les langues cibles dans lesquelles les textes de notre corpus ont été traduits le plus rapidement et quel est l’écart médian entre la publication de l’original et des traductions pour ces différentes langues. Nous sommes tout à fait consciente qu’il ne faut pas accorder une importance démesurée à des écarts de moins de deux ans. Si nous tenons compte des délais des contrats d’édition et des différences dans la planification de chaque éditeur (temps imparti au recrutement d’un traducteur, à la relecture, à l’impression, etc.), des intervalles aussi réduits indiquent une quasi-simultanéité. Reste que si l’on analyse ces écarts pour ces 51 textes, de telles indications chiffrées permettent de se faire une idée des tendances générales.

Quand on calcule la médiane, qui est considérée comme l’indicateur de tendances centrales d’une série de données, de l’écart entre l’année de la publication de l’original et de celle des traductions, on obtient les résultats suivants (Tableau 1):

Tableau 1

Nombre de traductions et écart entre l’année de la publication de l’original, par langue cible

 

Nombre de traductions

Écart entre l’année de la publication de l’original

l’allemand 

27

2

l’espagnol

16

6

l’anglais

34

5

le néerlandais

51

5

l’italien

22

11,5

le suédois

14

7,5

le danois

9

6

le portugais

23

18

Si l’on compte les cas où les différentes traductions ont constitué la première et la seconde version en langue étrangère des textes et que l’on compare ces résultats au nombre total de traductions pour chaque langue cible , on constate (Tableau 2) :

Tableau 2

Nombre de première et deuxième traductions, par langue cible

 

1re traduction

2e traduction

Total

Pourcentage des 1res et 2es traductions par rapport au nombre de traductions

l’allemand 

18

1

19

19/27 = 70%

l’espagnol

6

2

8

 8/16 = 50%

l’anglais

6

12

18

18/34 = 52%

le néerlandais

22

13

35

35/51 = 68%

l’italien

2

6

8

8/22 = 36%

le suédois

2

5

7

7/14 = 50%

le danois

1

1

2

2/ 9 = 22%

le portugais

2

2

4

4/23 = 17%

En complément des indications concernant le nombre de traductions publiées, ces chiffres nous montrent que, pour le corpus sélectionné des textes traduits en néerlandais, certains domaines culturels et linguistiques sont clairement ceux qui sont parmi les premiers à s’y être intéressés et/ou les traduisent très rapidement. Nous constatons également que le néerlandais ne fait certainement pas pâle figure, ce qui n’est pas seulement intéressant pour notre sujet, mais aussi dans un cadre traductologique plus large quand on met ces résultats en parallèle avec une hypothèse de travail essentielle dans le cadre de la sociologie de la traduction concernant l’importance des langues (hyper)centrales en tant qu’intermédiaires.

5. Le rôle de Oxfam Novib dans la circulation de la littérature africaine francophone

Dès lors que l’on essaie de mettre en évidence l’action de Oxfam Novib pour la problématique qui nous intéresse, deux lignes de force se dégagent : le nombre considérable des traductions publiées et leur rôle de précurseur dans la circulation internationale de certains auteurs et textes.

Numériquement, on constate que, sur les 64 romans traduits en néerlandais entre 1956 et 2020, 25 textes, soit 39 % du corpus, ont vu le jour grâce à leur soutien. La Afrikaanse Bibliotheek, qui depuis sa création s’est profilée comme la collection littéraire africaine la plus importante aux Pays-Bas, a publié 15 originaux francophones, un peu moins d’un quart des textes. Cette différence quantitative s’explique aussi par la période d’activité des deux collections pour notre corpus. Elles ont publié leur premier texte la même année (1975), mais la Afrikaanse Bibliotheek a édité son dernier texte francophone en 1994, tandis que Novib poursuit son activité éditoriale et continue à s’intéresser aux auteurs qui écrivent en français. En renversant la perspective, on ne peut manquer de constater qu’il y a seulement 24 textes africains (37 %) qui ne font pas partie d’une collection spécialisée ou ne sont pas subventionnés par Novib. Et que, depuis 1994, le moment où la Afrikaanse Bibliotheek n’apparaît plus dans notre corpus, Novib a financé 10 textes sur les 23 (43 %).

Pour ce qui est des 51 textes sources traduits en néerlandais jusqu’en 2010 dans notre corpus, on constate que sept textes ayant vu le jour grâce à Oxfam Novib s’avèrent par la même occasion la première traduction publiée ou ont paru la même année que d’autres premières traductions (Dongala, 1998/1999, 2002/2003 ; Labou Tansi, 1995/1997 ; Lopes, 1976/1978, 1990/1991 ; Sembène, 1973/1975, 1973/1985a) et que six textes ont été la deuxième version traduite (Bâ, 1994/2001 ; Bugul, 1982/1987 ; Diabaté, 1979/1986 ; Dongala, 1973/1981 ; Liking, 2004/2009 ; Sembène, 1981/1985b). Il convient d’ajouter que la Afrikaanse Bibliotheek a également déclenché la circulation internationale de respectivement cinq et quatre de ces textes en tant que première et deuxième traductions. Sur les 35 traductions dont nous avons pu constater que les versions néerlandaises ont été précurseures, il y en a donc 22 qui font partie d’une de ces deux collections spéciales, Oxfam Novib et la Afrikaanse Bibliotheek.

Avant 1975, l’année où Novib lance la série De Derde Spreker avec Xala de Sembene Ousmane, seules cinq traductions avaient déjà été publiées : L’enfant noir de Camara Laye (1953/1956) et Le vieux nègre et la médaille de Ferdinand Oyono (1956/1960), devenus tous deux de véritables classiques africains, Les bouts de bois de Dieu (1960/1962) et Le mandat (1966/1969) de Sembene Ousmane, qui seront retraduits ultérieurement et Le devoir de violence (1968/1970) de Yambo Ouologuem. Entre 1956 en 1975, la diffusion de la littérature francophone africaine se met donc doucement en branle avec ces cinq traductions en presque vingt ans. Comme nous l’avons vu plus haut, elle sera accueillie avec un enthousiasme toujours grandissant à partir du milieu des années 70, mais surtout pendant les années 80 et 90. Ces vingt dernières années, le nombre de traductions a baissé, mais est resté stable. On voit donc que c’est au moment où Novib entre sur le terrain qui nous intéresse qu’elle y devient très vite un acteur qu’on ne peut ignorer.

Il ne fait donc aucun doute que l’ONG néerlandaise a joué un rôle essentiel pour la diffusion des textes francophones africains auprès du lectorat néerlandophone. Cette donnée tend à appuyer l’idée que, quand on analyse des cas de figure spécifiques, les logiques traductives ne dépendent pas seulement de grandes tendances générales, mais que certains acteurs ou agents de traduction peuvent de toute évidence jouer un rôle déterminant. Dans le cas soumis à l’analyse ici, cet acteur s’est avéré une organisation qui a priori ne fait pas partie des participants que l’on envisage traditionnellement dès lors qu’il s’agit d’étudier le champ de la traduction. Si les traducteurs, les maisons d’édition, les directeurs de collection, les agents et critiques littéraires sont bel et bien des éléments prévisibles et prévus dans les études sociotraductologiques, un groupe de pression pour l’aide au développement tel que Oxfam Novib ne fait à coup sûr pas partie des acteurs de traduction attendus.

6. Conclusion

Au terme de cette enquête qui, pour la première fois, examine l’action littéraire et traductive de Oxfam Novib, il convient de souligner que l’ONG a soutenu la publication d’un nombre considérable de textes qui ont de surcroît dans une large mesure initié la circulation littéraire néerlandaise de la littérature du Sud.

Ces constatations encouragent à poursuivre la recherche et un travail systématique sur les archives de Oxfam Novib permettrait sans doute d’affiner nos observations. Grâce à ces archives, en prenant en compte également les éléments non humains de ce champ de traduction (Latour, 2005) – manuscrits des traductions, contrats avec les traducteurs, correspondances, etc. – nous pourrions décrire plus finement les façons dont les différents acteurs, traducteurs, éditeurs, responsables des collections spécialisées, critiques littéraires, etc., y ont interagi.

Il serait également utile d’étudier de la même façon le rôle de NCOS (actuellement appelée 11.11.11), l’organisation non gouvernementale belge avec laquelle Oxfam Novib a collaboré pendant 25 ans et dont les archives sont disponibles à l’AMSAB-ISG (Archives et musée du mouvement ouvrier socialiste - Institut d’histoire sociale – https://www.amsab.be/). Il s’agirait alors de voir comment a pu se développer une synergie entre deux organisations appartenant au même domaine linguistique, mais qui se situent dans deux pays différents. En effet, l’importance et le fonctionnement de l’aide au développement n’y sont pas nécessairement perçus de la même façon (Van De Poel, 2011) et le paysage éditorial y est également différent (McMartin, 2020).

L’on pourrait enfin étudier plus avant le projet littéraire de Oxfam Novib en comparaison avec celui de l’autre collection littéraire africaine, qui s’est toujours profilée et a effectivement été reconnue comme plus « littéraire » que celle que nous venons de présenter : la Afrikaanse Bibliotheek. Une analyse détaillée de leurs catalogues respectifs permettrait d’évaluer si ce positionnement spécifique communément admis – idéologique versus esthétique – se vérifie effectivement.

La description de l’activité éditoriale de Oxfam Novib a permis de montrer la façon dont cette ONG a pu influencer la vie littéraire aux Pays-Bas et y a marqué de son empreinte la circulation littéraire des littératures périphériques. Le cas soumis à l’analyse montre que la question plus vaste, celle qui porte sur les différentes manières dont les organisations internationales de développement en général peuvent soutenir la traduction littéraire, mérite incontestablement plus que cette première reconnaissance et incite à une exploration plus poussée.


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[i] Entre 1975 et 2000 environ, Novib a travaillé en synergie avec NCOS, l’organisation non gouvernementale d’aide au développement belge qui s’appelle actuellement 11.11.11. Dans la mesure où c’est Novib qui a pris l’initiative de la création de la collection spéciale et qu’elle continue son travail éditorial jusqu’à ce jour, nous nous intéressons dans cette contribution seulement au rôle de l’ONG néerlandaise pour la traduction littéraire.

[ii] https://shop.oxfamnovib.nl/boeken/wereldliteratuur.

[iii] https://shop.oxfamnovib.nl/abonnementen/wereldsabonnement.

[iv] Les deux séries se partagent même certains auteurs, dont Sembene Ousmane et Sony Labou Tansi. Voltaïque (1973/1975), Le mandat (1966/1989), Vehi Ciosane ou Blanche-Genese (1966/1990) et Taaw (1987/1992) de Sembene Ousmane et La Vie et demie (1979/1987), L’Etat honteux (1981/1989) et Les yeux du volcan (1988/1994) de Labou Tansi font partie de la Afrikaanse Bibliotheek, tandis que Xala (1973/1975), Le docker noir (1973/1985), Le dernier de l’empire 1 & 2 (1981/1985a, 1981/1985b) et Niiwam (1991) du premier et Le commencement des douleurs (1995/1997) du second se retrouvent dans le catalogue de Novib.

[v] Quand on s’intéresse à la littérature francophone africaine, il n’est pas facile de décider selon quel critère le corpus des textes sources peut être constitué. Celui du pays où les textes sont édités n’est pas envisageable du fait qu’un très grand nombre d’auteurs africains sont édités en France. De la même façon, ni le lieu de naissance des écrivains, ni l’endroit où ils vivent (ou ont vécu de longues périodes) ne peuvent servir de seul point de départ : de trop nombreux écrivains francophones ont quitté leur pays natal ou changé de pays pour que l’on considère ce nombre comme négligeable. La constitution du corpus repose donc plus souvent sur une sorte de consensus de la communauté des chercheurs que sur des critères clairement délimités. Certains ouvrages de référence (Batchelor, 2009 ; Bonn & Garnier, 1997 ; Chevrier, 1981 ; Kesteloot, 2004 ; Magnier, 2012 ; Ndiaye et al., 2004) et le site LITAF (http://www.litaf.org/) ont permis de jeter les fondations de ce corpus, qui a été enrichi au fur à mesure de l’actualité littéraire.

[vi] Le relevé a été fait à partir du catalogue de la Bibliothèque nationale des Pays-Bas (http://picarta.pica.nl/) qui liste l’ensemble des ouvrages en langue néerlandaise, quel que soit le pays de publication.

[vii] Awumey, Edem ; Bâ, Hampâté Amadou ; Bâ, Mariama ; Bamboté, Pierre Makombo ; Beti, Mongo ; Beyala, Calixthe ; Biniakounou, Pierre & Robert Zotoumbat ; Boum, Hemley ; Bugul, Ken ; Diabaté, Massa Makan ; Diome, Fatou ; Diop, David ; Dongala, Emmanuel ; Fantouré, Alioum ; Faye, Gaël ; in Koli Jean Bofane ; Kane, C.H. ; Kourouma, Ahmadou ; Labou Tansi, Sony ; Laye, Camara ; Liking, Werewere ; Lopes, Henri ; Mabanckou, Alain ; Miano, Léonora ; Modibo Sounkalo Kéita ; Mudimbe, Valentin-Yves ; Mwanza Mujila, Fiston ; Ouologuem, Yambo ; Oyono, Ferdinand ; Sembène, Ousmane et Zamir, Ali.

[viii] Cette date n’a pas été choisie au hasard. Dans une autre étude, sur un corpus similaire, mais qui concernait également les traductions suédoises et danoises (Verstraete-Hansen & Lievois, 2022), nous avons pu constater qu’à partir des années 2010 les textes sont traduits très vite en un très grand nombre de langues. Les flux traductifs des romans publiés après cette date ne peuvent en effet plus être présentés en termes de vagues successives, mais constituent presque un déferlement.